On a lu « Tes pas dans l’escalier » d’Antonio Muñoz Molina, en attendant Cecilia

Partir, dit-il. Prendre ses cliques, ses claques, ses meubles, ses souvenirs, ses livres et déménager le tout à l’autre bout du monde, à l’autre bout de l’océan. Y attendre quelque chose et quelqu’un, sa femme, la fin du monde. Désirer l’une, redouter l’autre. Laisser passer les jours et les nuits. Se faire oublier dans une anfractuosité du temps, au bord du grand fleuve.

Un jour donc, Bruno, le narrateur de l’ample, méditatif et sourdement douloureux « Tes pas…

Partir, dit-il. Prendre ses cliques, ses claques, ses meubles, ses souvenirs, ses livres et déménager le tout à l’autre bout du monde, à l’autre bout de l’océan. Y attendre quelque chose et quelqu’un, sa femme, la fin du monde. Désirer l’une, redouter l’autre. Laisser passer les jours et les nuits. Se faire oublier dans une anfractuosité du temps, au bord du grand fleuve.

Un jour donc, Bruno, le narrateur de l’ample, méditatif et sourdement douloureux « Tes pas dans l’escalier », le nouveau roman d’Antonio Muñoz Molina, est parti. Il a quitté New York. Sa décision fut prise après que deux avions ont percuté des tours jumelles, après l’anthrax, l’Irak, l’Afghanistan, après que l’angoisse, l’intranquillité au moins, soient devenues le climat de ses jours.


Bruno s’est souvenu de la douceur de vivre préservée de l’autre côté de l’océan, à Lisbonne, des soirs soyeux sur le bord du Tage.

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Il s’est souvenu de la douceur de vivre préservée de l’autre côté de l’océan, à Lisbonne, des soirs soyeux sur le bord du Tage. Avec Cecilia, la femme qu’il aime, une neurologue spécialisée dans les troubles de la mémoire et le traitement des traumatismes, il convient de s’y installer, ayant fait l’achat d’un bel appartement en hauteur dans un quartier paisible de la ville.

Impuissant face au réel

Retenue dans un premier temps par son travail, Cecilia reste en Amérique tandis que Bruno la précède au Portugal, organisant son nouveau foyer pour le jour où elle pourra le rejoindre. L’affaire n’est pas mince et face au réel et à ses injonctions quotidiennes, notre homme demeure largement impuissant. Il voudrait curieusement recréer quasiment à l’identique son cadre de vie new-yorkais mais tout dans ce pays dont il maîtrise très imparfaitement la langue, lui reste étranger. Un homme à tout faire surgi dont ne sait où, une femme de ménage, vont lui venir précieusement à l’aide.

Bientôt, il s’installe, même si malaisément encore, dans sa nouvelle existence. Elle n’est faite que d’attente et d’absence au monde. De promenades dans les rues lisboètes avec son unique compagne, une petite chienne. De lectures (« La lecture est compatible avec l’attente. Lire est un acte paresseux sans monotonie »), Montaigne, Robinson Crusoé, les mémoires de l’explorateur des pôles, l’amiral Byrd… De réminiscences des années passées, de son histoire avec Cecilia, si cruellement plus jeune que lui, de sa discrète perfection.

Un chant d’amour

Lisbonne est plus bruyante, moins apaisée, que Bruno ne l’avait d’abord cru. Qu’importe, la nuit venue, il n’y a plus d’avions qui viennent trouer le papier fragile du ciel… Reste l’attente, alors. D’une femme qui ne vient pas. Et le doute qui s’immisce peu à peu dans l’esprit du lecteur, les sables mouvants d’une vérité peut-être introuvable.

Seuil

C’est d’abord ça « Tes pas dans l’escalier » : un grand roman de l’attente mâtiné d’une sorte d’envoûtant thriller psychologique. Pas d’action à proprement parler, pas de conduite narrative artificielle, juste un homme en proie à ses démons intérieurs, l’indécision des choses, la solitude, l’éternel retour du même.

C’est aussi un chant d’amour. Pour une femme et pour une ville, Lisbonne, qui retrouve ici le visage énigmatique que lui prêta Alain Tanner dans son beau film « Dans la ville blanche » ou Muñoz Molina lui-même pour ce qui fut son premier grand livre, « L’Hiver à Lisbonne ». Une capitale ouverte à tous les possibles et d’abord ceux de l’imaginaire. Et une morale de romancier : aller voir ailleurs si on y est et au besoin, s’y attendre.

« Tes pas dans l’escalier », d’Antonio Muñoz Molina, traduit de l’espagnol par Isabelle Gugnon, éd. Seuil, 256 p., 22 €, ebook 16 €.

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