Diviser le nombre de meurtres par… 40 aide à être réélu triomphalement. L’inconvénient étant qu’il a fallu pour cela piétiner quelques aspects de l’Etat de droit, comme la présomption d’innocence ou la nécessité d’un mandat pour arrêter quelqu’un.
Des détails, pour les habitants du Salvador, qui ont voté dimanche à près de 86 % la réélection de Nayib Bukele… lors d’un scrutin au demeurant libre et transparent, ce qui a fait dire, avec un brin d’ironie, à celui qui se présente comme un « dictateur cool », que « ce serait la première fois dans un pays qu’un parti unique existe dans un système pleinement démocratique ». Son parti a aussi remporté 58 sièges sur 60 au Parlement.
Disparition des gangs
Il est vrai qu’il y a deux ans, ce petit pays d’Amérique centrale de 6.8 millions d’habitants affichait quasiment le taux d’homicide le plus élevé de la planète, à 106 pour 100.000 habitants. Aujourd’hui, il est tombé à 2,4, guère supérieur à la moyenne en Europe. Nayib Bukele, un quadragénaire d’origine palestinienne en blue-jean et casquette de base-ball, a été élu en 2019 grâce à sa parfaite maîtrise des codes de communications modernes et parce qu’il se présentait comme candidat « hors système », à la faveur d’un ras-le-bol envers les deux partis, Arena à droite et FMLN à gauche, qui dirigeaient le pays depuis la fin de la guerre civile (1979-1992).
Mais il ne s’est attaqué au problème qu’en mars 2022. Une journée spectaculairement meurtrière, 62 morts, l’avait alors poussé à décréter l’état d’urgence pour lutter contre les gangs, les fameux « maras », notamment Barrio 18 et MS 13, qui prospéraient sur le trafic de cocaïne et rackettaient et tuaient quiconque leur tenait tête. Traverser un quartier tenu par un gang dont on n’était pas membre était du suicide.
75.000 membres présumés de gangs raflés
Le chef de l’Etat n’y a alors pas été de main morte. L’armée et la police ont raflé 75.000 membres présumés des gangs, rien moins que 8 % de la population masculine de 15 à 30 ans, emprisonnés durant des mois sans avoir accès à un avocat ou aux éléments de leur dossier. Les détenus vêtus d’un simple short et tee-shirt blanc ne reçoivent qu’un seul repas par jour, dorment sans matelas ni oreiller dans des cellules surpeuplées. Le pays a construit la plus grande prison du monde pour recevoir 40.000 prisonniers.
Evidemment, les primes à l’arrestation accordées aux militaires et policiers ont conduit à de nombreuses arrestations d’innocents sur dénonciations calomnieuses. Toutes les communications téléphoniques peuvent être interceptées.
Disparition des contre-pouvoirs
Si le Code de procédure pénale était auparavant excessivement favorable aux suspects et aux juges corrompus, Nayib Bukele a poussé les curseurs très loin dans l’autre sens. Il a remplacé le tiers des juges du pays, ne tient pas compte de la Cour constitutionnelle qui interdisait deux mandats présidentiels d’affilée, et fait pénétrer des soldats au Parlement pour intimider les députés rechignant à voter des crédits militaires. Les policiers torturent des prisonniers sans risquer de réprimandes, souligne l’ONG Cristosal.
Pourtant, près de 90 % de la population plébiscite le chef de l’Etat, selon Latinbarometro, et le pays d’Amérique latine où les gens se sentent le plus en démocratie est… le Salvador. A leurs yeux, le concept était vide de sens quand on ne pouvait pas se promener le soir dans la rue.
Le défi de l’économie
Reste désormais un défi peut-être plus redoutable encore pour le président reconduit dans ses fonctions : l’économie. Les gangs coûtaient, certes, un septième du PIB au pays et l’investissement dans les PME est reparti à la hausse. Mais un tiers des habitants vit sous le seuil de pauvreté, la majorité gagne moins de 330 dollars par mois, et les finances publiques, opaques, sont très déséquilibrées.
Le président Bukele a cru pouvoir trouver un salut dans le bitcoin . Le Salavador est devenu, il y deux ans, le premier pays au monde à l’adopter comme devise officielle. Mais quasiment personne ne l’utilise.
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