Shari Redstone, l’héritière qui joue son va-tout à Hollywood

A 70 ans, Shari Redstone est à nouveau à la croisée des chemins. Des années durant, elle s’était battue pour réunifier en 2019 l’empire des médias crée par son père, l’emblématique mais colérique Sumner Redstone . Malgré un catalogue immense allant de « Star Trek » à « Bob l’éponge », Paramount Global souffre : aux Etats-Unis, la crise du câble impacte ses chaînes (CBS, MTV, etc.) et son service de streaming tente difficilement de percer face au leader Netflix.

Les difficultés de Paramount Global sont telles que depuis quelques mois Shari Redstone s’est convertie à l’idée d’une vente. Elle y a sans doute aussi été poussée par la perspective de laisser les clés de son groupe à un autre héritier qu’elle connaît bien, David Ellison, le fils du fondateur d’Oracle. Pilote de voltiges, ce quadragénaire a déjà connu une belle ascension dans son autre domaine de prédilection, le cinéma. Sa société, Skydance, a coproduit plusieurs films à succès avec Paramount, y compris « Top Gun : Maverick » .

Casse-tête

Seulement voilà : la structure capitalistique de Paramount – conçue pour en verrouiller le contrôle familial – est source de nouveaux casse-tête pour Shari Redstone. Début mai, l’offre de rachat de Skydance – qui garantissait une prime au holding familial des Redstone et promettait une relance de Paramount – n’est pas venue à bout de la fronde des actionnaires sans droits de vote. Chez Paramount, un comité spécial étudie désormais une autre proposition de rachat émanant d’Apollo et Sony .

C’est donc bien malgré elle que cette native de Boston se retrouve dans la mêlée. Pourtant, elle sait être combative comme son père. Après la décision de Sumner Redstone de scinder son empire en deux (Viacom et CBS) en 2006, ils s’étaient même retrouvés à ne plus communiquer que par fax !

Batailles de succession

Ecartée un temps des affaires de famille, désavouée par son père, Shari Redstone a dû mener pendant les années 2010 de multiples batailles judiciaires contre les deux maîtresses de Sumner, contre l’état-major de Viacom… Ce n’est décidément pas un hasard si la série « Succession » se serait inspirée autant des Murdoch que des Redstone.

Shari Redstone parvient à redevenir incontournable pour son père, qui décède en 2020 à 97 ans. Pour s’imposer, l’héritière aura dû aussi déjouer en 2018 une tentative de « putsch » de la part de Les Moonves, l’ancien patron de CBS. Ce dernier chute à cause d’une affaire de harcèlement sexuel.

Actifs convoités par Netflix

Dès 2019, CBS et Viacom fusionnent sous son influence. Cette même année, Rupert Murdoch vendait Fox à Disney ; lancée en 2016, la fusion AT&T-Time Warner était relativement fraîche (AT&T va revendre Warner Bros. à Discovery en 2022) ; Amazon mettra quant à lui la main sur les studios MGM en 2021… Les actifs des Redstone étaient aussi très convoités : le bruit court que même Netflix aurait tenté une approche. Pas vendeuse à l’époque, Shari Redstone laisse au DG Bob Bakish le soin orchestrer une offensive dans le streaming, à la fois gratuit (rachat de Pluto TV en 2019) et payant avec Paramount + à partir de 2021. Mais le marché du streaming était déjà bien encombré.

Dans ce contexte, la décision de Bob Bakish il y a un an de réduire drastiquement les dividendes a aussi impacté le holding familial des Redstone, National Amusements, qui détient moins de 10 % du capital du géant des médias mais 77 % des droits de vote. De quoi sans doute refroidir les relations entre Shari Redstone et le CEO de Paramount. Et la frilosité de Bob Bakish à l’idée que son groupe soit absorbé par un plus petit rival tel que Skydance a probablement scellé son sort. Il a été remplacé fin avril par une troïka d’exécutifs.

Difficultés financières

Egalement opérateur d’un réseau de cinémas, National Amusements avait aussi souffert ces dernières années à cause des fermetures des salles, puis de la baisse de la fréquentation après la pandémie. Sa santé financière dépend donc très largement de ce que lui reverse Paramount.

Mais, selon la presse américaine, le désir de Shari Redstone de se séparer d’un empire médiatique de plus en plus compliqué à gérer aurait augmenté après les attaques perpétrées par le Hamas du 7 octobre en Israël. Descendante d’immigrés juifs venus d’Europe de l’Est, la présidente non exécutive de Paramount a dit publiquement en décembre que sa vie avait été bouleversée par ce choc.