un des spécialistes de l’art du bagne vit dans les Landes

« Je me demande si je n’ai pas été moi-même bagnard dans une autre vie. » François Morand sourit. La carrière de cet homme de 54 ans – qui a d’abord été, jusqu’à ses 42 ans, travailleur social – a pris un drôle de tournant en 2015. Alors qu’il venait d’embrasser la carrière de galeriste (1), avec son épouse Céline, une rencontre va quelque peu chambouler sa vie.

« Je me souviens, j’étais dans une brocante et il pleuvait. Je suis tombé sur une peinture très naïve, colorée, réalisée avec des matières rudimentaires. J’ai lu une inscription : ‘‘Louis Grilly, peintre au bagne, Guyane’’. Découvrir ce nom sur une toile, ça a excité mon imagination. »

« Je me demande si je n’ai pas été moi-même bagnard dans une autre vie. » François Morand sourit. La carrière de cet homme de 54 ans – qui a d’abord été, jusqu’à ses 42 ans, travailleur social – a pris un drôle de tournant en 2015. Alors qu’il venait d’embrasser la carrière de galeriste (1), avec son épouse Céline, une rencontre va quelque peu chambouler sa vie.

« Je me souviens, j’étais dans une brocante et il pleuvait. Je suis tombé sur une peinture très naïve, colorée, réalisée avec des matières rudimentaires. J’ai lu une inscription : ‘‘Louis Grilly, peintre au bagne, Guyane’’. Découvrir ce nom sur une toile, ça a excité mon imagination. »

Il l’ignore encore mais, dès lors, c’est une sorte de chasse au trésor qui démarre. Des peintres dans cet enfer vert ? Il n’en avait jamais entendu parler. Ses études d’histoire le poussent à en savoir plus, car ce que François Morand aime par-dessus tout, c’est percer les mystères qui entourent les tableaux.

Il le faisait déjà pour sa collection initiale – des peintures régionalistes et des portraits dont il essaie d’assurer une traçabilité –, il le fera aussi pour ces inconnus du bagne. « C’est ma plus-value en tant que vendeur. J’essaie de reconstituer l’histoire d’une œuvre. Certains tableaux ont parfois 200, 300 ou 400 ans, c’est formidable de raconter comment ils ont traversé l’histoire ou d’en connaître les auteurs. »


François et Céline Morand, dans leur salon, présentent deux tableaux de bagnards. Ils possèdent environ une centaine d’œuvres comprenant également des dessins, des affiches ou des bandes dessinées.

Philippe Salvat / « SUD OUEST »

L’histoire refait surface

Comme souvent, c’est une rencontre qui a fait office de catalyseur. Après avoir mis cette première découverte sur son site en ligne, François Morand reçoit un appel. André Bendjebbar est agrégé et docteur en histoire, diplômé de Sciences Po Paris. Il est également membre du bureau de l’Association française de l’histoire de la justice.

Celui-ci est en pleins préparatifs d’une exposition qui s’est déroulée en 2016 à Agen, à l’Enap (École nationale d’administration pénitentiaire) et intitulée « Le Rouge et le blanc » (couleurs de la livrée rayée des bagnards).

« Il souhaitait que je lui prête l’œuvre de Grilly le temps de l’accrochage. J’étais d’accord sur le principe. Je raccroche et le lendemain je me retrouve dans une nouvelle brocante à Richelieu, en Indre-et-Loire. Je suis tombé sur huit tableaux d’un certain Pourcillot. Un bagnard lui aussi. Ils provenaient d’une maison d’un ancien agent pénitentiaire qui venait de décéder. J’ai rappelé André Bendjebbar en lui disant ‘‘Monsieur, vous n’en aurez pas un, mais neuf !’‘ Depuis, c’est une suite ininterrompue de trouvailles », explique-t-il.

Les toiles, souvent naïves et colorées, donnent une image idéalisée et acceptable pour l’acheteur de l’enfer que représentait le bagne.


Les toiles, souvent naïves et colorées, donnent une image idéalisée et acceptable pour l’acheteur de l’enfer que représentait le bagne.

Philippe Salvat / « SUD OUEST »

Aujourd’hui, François et Céline Morand se retrouvent à la tête d’une importante collection d’une centaine d’œuvres environ. Des tableaux, bien sûr, mais aussi des dessins, des affiches et même une bande dessinée érotico-pornographique. Un ensemble rare tant il est difficile de les dénicher. Et niveau prix ? « Entre 500 et 700 euros le tableau, mais ce n’est pas ça le plus important. Ce qu’il faut, c’est que cette histoire refasse surface. C’est un patrimoine historique », préfère-t-il pointer.

Éviter la prostitution

Des bateaux, des baraques en bois, des visages, des gardiens, des nuages, l’océan et, au loin, l’horizon… En s’approchant au plus près des toiles, c’est tout un univers méconnu qui s’ouvre à nous. « On montre le quotidien mais dans une version idéalisée. Il faut que les tableaux se vendent et donc ils doivent être acceptables pour les acheteurs. C’était aussi, pour eux, une façon de s’évader. »

Car oui, ces œuvres ne sont pas le fruit d’une opération philanthropique. Si elles existent, c’est qu’elles étaient aussi pour ces prisonniers un moyen de subsistance. Les vendre permettait d’améliorer l’ordinaire en s’achetant de la nourriture ou des cigarettes… et en évitant aussi de tomber, par exemple, dans la prostitution.

Ici, un carnet rempli de dessins sur le quotidien du bagne.


Ici, un carnet rempli de dessins sur le quotidien du bagne.

Philippe Salvat / « SUD OUEST »

« Le matériel utilisé montre aussi les conditions dans lesquelles ces hommes vivaient. Le premier support était la peau, avec les tatouages. Puis, ils prenaient ce qu’ils trouvaient : des toiles de sac de riz ou d’épices, des noix de coco, des morceaux de gamelles, des chemises… Pour les couleurs, ils cherchaient le pigment dans les fleurs sauvages ou les coquillages », raconte François Morand.

« On montre le quotidien mais dans une version idéalisée. C’est aussi, pour eux, une façon de s’évader »

Grâce à ses recherches, aidé par ses collaborations universitaires et par des documents de l’administration pénitentiaire bien renseignés, le galeriste a pu retracer quelques parcours de vie. Francis Lagrange dit Flag, un faussaire qui avait été conduit en Guyane.

« Il est un des rares à être sorti vivant de Cayenne. Il fera même un petit bout de carrière aux États-Unis avant de mourir en 1964. Il avait la faculté de peindre des deux mains et répondait à de nombreuses commandes. On estime qu’il a produit entre 3 000 et 5 000 œuvres. Il a même peint l’intérieur d’une petite chapelle sur l’île du Diable. »

La production de cet art pictural est si dense sur un siècle que François Morand estime même qu’on peut parler d’une « école de peinture du bagne » où un « maître » pouvait enseigner à « un élève ».

En Guyane en septembre

Depuis quelques années, après l’avoir longtemps refoulé, la Guyane cherche à se réapproprier cette histoire tourmentée. La collectivité a d’ailleurs déposé très officiellement un dossier pour voir ce patrimoine pénitentiaire entrer dans la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. En septembre, à l’occasion des Journées du patrimoine, François et Céline se rendront sur place pour présenter leurs travaux. Les calendriers coïncident bien.

Dernier objectif pour le couple de landais : trouver un lieu pour rassembler ces œuvres. « L’idéal serait de tout centraliser à un seul endroit, souhaitent-ils. On a déjà un peu alimenté le Planeur bleu, un petit musée à Cacao. On en a vendu aussi à la mairie de Saint-Laurent-de-Maroni. Peut-être aussi qu’une institution voudra se positionner. » Et donner pleine visibilité à tous ces oubliés.

La vente de ces tableaux permettait à leurs auteurs d’améliorer l’ordinaire, notamment au niveau de la nourriture.


La vente de ces tableaux permettait à leurs auteurs d’améliorer l’ordinaire, notamment au niveau de la nourriture.

Philippe Salvat / « SUD OUEST »

(1) Sur Instagram : galeriemorandcollection ; site Internet : www.proantic.com/galerie/morand/

Le bagne ou la « guillotine sèche »

« Guillotine sèche » ou « enfer vert ». On mesure avec ces deux expressions combien les bagnes de Guyane (à Cayenne et à Saint-Laurent-du-Maroni pour les plus célèbres) étaient perçus comme des machines à broyer par les contemporains. Utilisés entre 1795 et 1953, ils ont reçu entre 80 000 et 100 000 hommes condamnés aux travaux forcés. Peu en revenaient vivants.
Outre les maladies et les mauvais traitements, les bagnards devaient également s’engager dans des travaux d’assainissement, d’installations portuaires ou de constructions de routes. Les reportages réalisés sur place, en 1923, par le journaliste Albert Londres auront un grand retentissement dans l’opinion publique et chez les politiques et signeront, quelques années plus tard, leur arrêt.


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