Un masque sacré, restitué au Congo par la Belgique, réveille les violences interethniques | Belgique

Le masque Kakuungu restitué en 2022 par le roi Philippe a été instrumentalisé pour nourrir le cycle de violences interethniques. Une triste histoire, pour ce qui devait être un symbole de réconciliation.


Matthias Bertrand


Dernière mise à jour:
15-04-24, 16:31


Source:
The Economist

Le président congolais Félix Tshisekedi et le roi Philippe avec le masque Kakuungu. © BELGA

La restitution d’un masque Kakuungu à la République démocratique du Congo par la Belgique, en juin 2022, avait fait les gros titres dans les deux pays. Cette pièce exceptionnelle, qui était conservée au musée de Tervuren, avait été ramenée par le roi Philippe lors de sa visite officielle.

Les masques de ce genre ont joué un rôle dans la résistance de ces peuples africains face aux colonisateurs, au XIXe siècle. Seules quelques dizaines de ces masques ont pu être préservés en bon état, et aucun d’entre eux ne se trouvait en RDC avant cette restitution. Il trône depuis bien en évidence au Musée de Kinshasa, où il attire les foules, passant ainsi de symbole du pillage colonial à celui de la réconciliation. N’en déplaise à Georges-Louis Bouchez, qui s’obstinait à qualifier cet accord de simple “prêt”, malgré les propos du Roi et du Premier ministre qui ne cachaient pas que celui-ci serait illimité.


Un masque symbole de guerre

Sauf que le masque n’est pas resté longtemps un symbole de concorde, relève le journal britannique The Economist. Le mois dernier, des troubles ont éclaté entre différentes ethnies à Kwamouth, un district situé juste au nord de Kinshasa. La région est divisée entre les peuples Teke, Suku et Yaka.

Traditionnellement, les deux derniers payaient des taxes aux chefs coutumiers Teke en échange de l’autorisation de cultiver la terre. Mais ce système foncier a suscité des tensions croissantes depuis que les Teke ont voulu augmenter le montant de ces taxes, au début de l’année 2022. De quoi motiver une alliance entre les Suku et les Yaka, deux peuples culturellement très proches, sous le nom des Mobondo.

Et le masque, dans tout ça? Cet artefact est justement lié aux ethnies Suku et Yaka. Le retour de ce masque symbolisant la guerre et censé protéger les guerriers contre les balles ont enhardi les miliciens du mouvement Mobondo et a contribué à remettre le feu aux poudres, après une accalmie relative des tensions depuis 2022.

L’armée jette de l’huile sur le feu

Le bilan est lourd, selon le quotidien britannique. Au moins 300 personnes ont été tuées et quelque 160.000 ont été contraintes de fuir la région. L’armée congolaise a bouclé les zones les plus touchées par les violences entre milices, et il est à craindre que des charniers y soient découverts à plus ou moins court terme.

Human Rights Watch souligne d’ailleurs que la répression militaire semble remettre de l’huile sur le feu, tandis que des miliciens du mouvement Mobondo se retrouvent parfois enrôlés plutôt que menés devant la justice. Il faut préciser que Fabrice Kavabioko, nommé à la tête d’une “commission de pacification” par le gouvernement de Kinshasa, est lui-même une personnalité influente chez les Suku et a été suspecté d’avoir eu un rôle dans le déclenchement des violences.

Le retour du masque n’est bien sûr pas la cause première de ces troubles. Mais il est terrible de constater que le symbole de paix qu’il devait incarner a vite été galvaudé dans un cycle des violences.

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