Vacances en Guyane: à la rencontre des habitants

Franco-Surinamaise, Hélène Adjoko est une Bushinengué (communauté des descendants des esclaves qui se sont enfui pour vivre en liberté). Elle pose dans les vestiges du bagne de l’île Royale.

Emmanuel Coissy

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Voyage en AmazonieVacances en Guyane: à la rencontre des habitants

Les Amérindiens, les créoles, les métropolitains, les Bushinengués et les Hmongs forment la population de la Guyane française. Des communautés réunies par des modes de vie convergents, en particulier durant le carnaval.

Emmanuel Coissy
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Claire Suzanne Poulin s’active à une table de couture, installée dans son jardin. Elle est yopoto (cheffe coutumière héréditaire) du village amérindien d’Espérance, où résident 500 habitants, dans la commune de Saint-Laurent-du-Maroni, dans l’ouest de la Guyane française. Ils appartiennent à la communauté Kali’na. L’après-midi (2 février 2024) où nous l’avons rencontrée, elle brodait des pompons sur une robe de levée de deuil pour la fille d’une femme du village, morte il y a un an. «La levée de deuil commence à ce moment-là, voire deux ans après le décès, période durant laquelle les proches portent du noir. Les cérémonies s’étendent sur les trois jours d’un week-end, mais la préparation du repas et des boissons, notamment du cachiri (ndlr: bière à base de manioc), prend toute la semaine.»

Claire Suzanne Poulin, cheffe coutumière du village amérindien d'Espérance.

Claire Suzanne Poulin, cheffe coutumière du village amérindien d’Espérance.

Emmanuel Coissy

Les fonctions de Claire Suzanne Poulin sont assimilables à celles cumulées de maire, de préfète et de juge. «C’est vingt-quatre heures sur vingt-quatre», assure-t-elle en montrant son ouvrage. La levée de deuil est un acte important chez les Amérindiens. Après quoi, le veuf aura le droit de se remarier et les enfants pourront recommencer à s’amuser. Les Amérindiens d’Espérance pratiquent la religion catholique sans exclure leurs rituels ancestraux. «Les deux se rejoignent, témoigne la cheffe, mariée à un créole. Chaque personne du village est libre d’agir selon ses convictions. C’est le cas, par exemple, à l’occasion d’un mariage. On va à la mairie, à l’église et il y a des cérémonies traditionnelles, en fonction des affinités.»

La chrétienté s'est imposée en Guyane. Plafond de l'église Saint-Joseph, à Iracoubo, décorée par un bagnard.

La chrétienté s’est imposée en Guyane. Plafond de l’église Saint-Joseph, à Iracoubo, décorée par un bagnard.

Emmanuel Coissy

Échanges multiculturels

Les Kali’nas sont une des six communautés amérindiennes constituant 5% de la population du département français sis en Amérique du Sud. Une terre pétrie par le multiculturalisme. Les Guyanais sont un peu plus de 300’000. Avec la majorité créole (métis descendants des esclaves) vivent des métropolitains (Blancs de France continentale), des Hmongs (2%) venus d’Asie en 1977 et des Bushinengués (ou marrons). Ces derniers descendent des Noirs qui se sont soustraits à l’esclavage et représentent un tiers de la population. Au XVIIIe siècle, leurs ancêtres ont combattu l’oppression. L’isolement dans la forêt leur a permis de reconstruire des sociétés autonomes qui rappellent celles de l’Afrique noire.

Hélène Adjoko, 28 ans, est une Bushinengué de la communauté des Saramacas.

Hélène Adjoko, 28 ans, est une Bushinengué de la communauté des Saramacas.

Emmanuel Coissy

Les Bushinengués se distinguent par leur peau plus foncée que celle des créoles. Leur communauté est subdivisée en six peuples. Parmi eux, les Saramacas. Ils vivent principalement dans l’ouest de la Guyane et au Suriname, des deux côtés du fleuve Maroni, frontière naturelle entre ces deux pays amazoniens.

Préserver les traditions

Hélène Adjoko, 28 ans, est née et réside à Kourou. Elle est guide touristique, spécialiste des questions culturelles. Elle est indépendante et son entreprise s’appelle Foloü. «La prononciation est identique au mot anglais «follow» (ndlr: suivre). C’est mon nom saramaca, qui est celui d’une sœur de mon père. La tradition matrilinéaire veut que le père donne le nom d’une sœur ou d’une cousine à sa fille. C’est l’équivalent d’une marraine. Tant que ma tante est en vie, je porte provisoirement son nom. À sa mort, une cérémonie me l’attribuera définitivement.» Le village dont Hélène est originaire se trouve au Suriname. Afin d’ancrer formellement son appartenance, la Française a acquis la double nationalité l’année dernière.

Kafe Betian, 37 ans, charpentier et sculpteur. Il perpétue l'art des Saramacas.

Kafe Betian, 37 ans, charpentier et sculpteur. Il perpétue l’art des Saramacas.

Emmanuel Coissy

Les voyageurs qui souhaitent découvrir des villages amérindiens et bushinengués sur les deux rives du Maroni peuvent s’adresser à des prestataires qui circulent en pirogue sur le fleuve. En Guyane française, l’agence Voyag’en Harmonie prône un tourisme respectueux et responsable. Elle émane de l’association Peupl’en Harmonie, qui accompagne des projets de développement d’entreprises. Elle apporte ainsi son concours à Kafe Betian, 37 ans, charpentier et sculpteur sur bois, établi dans la commune de Mana. L’artisan réalise du mobilier saramaca orné de motifs pour perpétuer un savoir qui tend à disparaître.

Jean-Michel Poulin, époux de Claire Suzanne, est créole. Spécialiste de la phytothérapie, il pose dans leur jardin.

Jean-Michel Poulin, époux de Claire Suzanne, est créole. Spécialiste de la phytothérapie, il pose dans leur jardin.

Emmanuel Coissy

Dans l’ouest guyanais, les échanges entre Amérindiens et Bushinengués sont constants. Ils partagent leurs connaissances de la pharmacopée naturelle (lire l’article «Un avion suisse dessert un village perdu dans la forêt guyanaise») qui s’incarne notamment dans la science des «bains médico-magiques». Enrichis de plantes, ils ont, selon la croyance, des vertus curatives (santé, toilette intime) et servent à expurger le mal. La cuisine est aussi un élément fédérateur. Tous mangent des aliments à base de manioc, le même gibier (iguane, mammifères de la forêt) et les mêmes poissons. Dans la foulée de l’intégration à l’école publique (tout le monde parle français), les nouvelles générations prennent part au carnaval, qui à l’origine était fêté par la majorité créole et par les Blancs.

Un carnaval métissé

Venues de Cayenne, des danseuses costumées en Amérindiennes à la parade du carnaval de Kourou.

Venues de Cayenne, des danseuses costumées en Amérindiennes à la parade du carnaval de Kourou.

Emmanuel Coissy

Le carnaval est long, en Guyane. Il dure près de six semaines (du 7 janvier au 14 février 2024). C’est un moment attendu parce qu’il permet de lâcher prise dans un contexte socio-économique tendu. La célébration traditionnelle veut que, le samedi soir, les femmes dissimulent leur identité et même leur voix sous d’imposants costumes. Ce sont les touloulous. À Cayenne, de 22 heures à 5 heures, les fêtards se retrouvent dans un «dancing», vaste hangar, pour un bal paré-masqué. Les touloulous choisissent leurs cavaliers, visent «des beaux mecs, des bons danseurs qui sentent bon». La température est élevée. Les touloulous suent sous les textiles synthétiques. Il faut s’hydrater pour tenir un rythme effréné toute la nuit.

L’ambiance se diffuse aux abords du site. On picole en groupe autour d’un coffre de voiture transformé en bar. Dans les quartiers, notamment les plus populaires, on reçoit les uns chez les autres avant de sortir. On boit un ti-punch (rhum blanc, citron vert, sirop de canne) à préparer soi-même («Tue-toi toi-même», dit-on) et on mange une soupe (légumes, vermicelles, pied de veau et parfois queue de bœuf) qui tient au corps. À l’aube, orchestre de cuivre et chanteurs montent sur un char, interprètent des chansons grivoises. Cet after, appelé un vidé consiste à danser et à chahuter dans la rue jusqu’au milieu de la matinée.

Le vidé est un after durant le carnaval. Les fêtards dansent dans la rue.

Le vidé est un after durant le carnaval. Les fêtards dansent dans la rue.

Emmanuel Coissy

Lire la première partie du reportage: «Un avion suisse dessert un village perdu dans la jungle guyanaise».

Voyag’en harmonie, activités valorisant des Amérindiens et des Bushinengués.

L’art saramaca de l’ouest. Kafe Betian, sculpteur établi à Mana. Contacter l’association Lobie Ko a Wang. lkaw.contact@gmail.com

Carbet Postou, gîte où passer la nuit (hamac) dans un jardin luxuriant. 40 bis, allée de l’Espérance, Saint-Laurent-du-Maroni.

Hôtel Ker Alberte, maison de style colonial (avec piscine), dans le centre historique de Cayenne.

Le restaurant Kaz Mimi sert une cuisine créole traditionnelle, notamment de la viande «bwa» (gibier de la forêt). 40, avenue Élie-Castor, Cayenne.

Le voyage a été offert par le Comité du tourisme de la Guyane pour réaliser cet article. Air France assure un vol quotidien Paris CDG – Cayenne avec un départ de l’aéroport de Genève. Infos sur guyane-amazonie.fr ou auprès de l’agence Indalo à Fribourg.


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