Vidéos. C’était comment la France des années Pompidou ?

4 ans, 9 mois et 13 jours : c’est la durée exacte du temps que Georges Pompidou, terrassé par un cancer le 1er avril 1974, aura passé au plus haut sommet de l’État, du 20 juin 1969 au 2 avril 1974. Mais l’ex président de la République, mort un peu moins de deux ans et demi avant la fin de son septennat, a exercé le pouvoir bien plus longtemps : membre du Conseil constitutionnel, de 1959 à 1962, après avoir participé à l’élaboration de la Constitution de la Ve République, puis nommé premier ministre par de Gaulle en 1962, il est resté six ans à Matignon. Un record encore à battre sous la Ve République.

Rien d’étonnant à ce que « Pompon », comme les Français le surnommaient, non sans une certaine affection, ait marqué son temps. Mais d’où vient ce « mythe pompidolien des jours heureux » qui colle encore à la peau du natif de Montboudif, dans le Cantal, cinquante ans après ?

Les Trente Glorieuses

Pompidou a eu la chance de bénéficier d’une bonne conjoncture économique. Animé par la volonté de faire d’une France où le chômage n’existait pas, une grande nation de production, il a également lancé une politique industrielle ambitieuse et a pu bénéficier d’un temps long dans l’action, pour mener son dessein. Électronique, informatique, nucléaire, aéronautique, espace… Les domaines de pointe du pays allaient se développer, à l’échelle nationale puis internationale. On dénonce aujourd’hui les impacts du consumérisme sur l’environnement, mais c’est aussi durant les années Pompidou, que la société de consommation, symbolisée par l’ouverture en France, le 15 juin 1963, du tout premier hypermarché, à Sainte-Geneviève-des-Bois, dans l’Essonne, sous l’enseigne Carrefour, a pris son essor. Et à l’époque, loin d’y trouver à redire, les Français étaient bien décidés à en profiter, jusqu’à plus soif.

Trois chaînes à la télévision

La télévision, en plein boum, se répandait dans tous les foyers, mais il n’y avait encore que deux chaînes, en noir et blanc. Il faudra attendre l’arrivée de la troisième, le 31 décembre 1972, pour avoir la couleur. On y révérait la « culture ». On suivait religieusement « Italiques », l’émission littéraire présentée par Marc Gilbert de 1971 à 1974, au générique réalisé par Folon, qui allait devenir « Apostrophes ».

Côté cinéma, le dimanche, on regardait en famille « Monsieur Cinéma », avec Pierre Tchernia. Les « vrais » cinéphiles avaient rendez-vous à minuit (il fallait tenir jusque-là) avec Patrick Brion qui présentait les classiques du septième art et la série culte, c’était le feuilleton « La Demoiselle d’Avignon », avec Marthe Keller et Louis Velle. Et pendant ce temps-là, les Shadoks pompaient, pompaient, pompaient… au son de la voix inimitable de Claude Piéplu.

Dix ans avant les radios libres, la radio incontournable, c’était France Inter. On écoutait Pierre Bouteiller, « Radioscopie », de Jacques Chancel, « Le Pop club » de José Arthur, « Pas de panique » de Claude Villers. Seul survivant de ces émissions cultes, « Le Masque et la Plume » voyait s’affronter le journaliste Georges Charensol et l’écrivain Jean-Louis Bory, lors de duels radiophoniques épiques.

Audace et créativité artistique


Claude et Georges Pompidou, le 20 juin 1969, à l’Élysée, à Paris.

AFP

Pompidou était un fin lettré. Normalien reçu premier à l’agrégation, il était notamment l’auteur d’une excellente « Anthologie de la poésie française », ce dont beaucoup de Français « moyens » s’enorgueillissaient. L’école de la République était encore le vecteur par excellence de l’ascension sociale. Avec sa femme, Claude, « Bibiche », une grande blonde filiforme dont il était follement amoureux, le président était aussi un grand amateur d’art contemporain. À l’Élysée, le salon avait été redécoré par le designer Pierre Paulin et une salle de cinéma aménagée dans les sous-sols du palais. Quant au centre national d’art et de culture Georges-Pompidou – communément appelé « centre Pompidou », ou plus familièrement « Beaubourg » – inauguré en 1977, il est né de la volonté du président, de créer au cœur de Paris une institution culturelle originale.

Les films qu’on allait voir

Yves Montand, Romy Schneider et Samy Frey dans « César et Rosalie ».


Yves Montand, Romy Schneider et Samy Frey dans « César et Rosalie ».

Capture écran/ « César et Rosalie »

Les femmes rêvaient de ressembler à Romy Schneider, les hommes à Yves Montand

Empreint d’une irrésistible évolution vers la permissivité, le cinéma n’hésitait pas à choquer. « Le Dernier Tango à Paris » scandalisait. « La Grande Bouffe » et « La Maman et la Putain » représentaient la France à Cannes. « Les Valseuses », avec Depardieu, Patrick Dewaere et Miou-Miou faisaient débat. Claude Sautet, François Truffaut et Claude Chabrol triomphaient. Le premier, avec « César et Rosalie », et le trio magnifique Yves Montand, Romy Schneider et Sami Frey, le second avec ses Antoine Doisnel, le troisième avec sa muse et épouse, Stéphane Audran.

Après la sortie du documentaire « Le Chagrin et la pitié », de Max Ophüls, la guerre inspirait à Louis Malle le film « Lacombe Lucien », qui fera polémique. Mais on rigolait aussi beaucoup et sans complexe, avec les premiers films des Charlots, Jean Yanne («Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil »), de Funès («Le Gendarme de Saint-Tropez ») ou encore Pierre Richard, « Le Grand Blond avec une chaussure noire »…

Les livres qu’on lisait

En librairie, les prix Goncourt et Galligrasseuil faisaient la pluie et le beau temps. On s’arrachait « L’Épervier de Maheux », de Jean Carrière, « Papillon », qui raconte les aventures d’Henri Charrière, du temps où il fut bagnard en Guyane française, « L’Archipel du Goulag », d’Alexandre Soljenitsyne, « Un taxi mauve », de Michel Déon… Gallimard lançait sa collection de poche Folio, avec « L’Étranger » et « La Condition humaine ». La bande dessinée se hissait au rang des beaux-arts : le premier salon de la BD d’Angoulême, en 1974, remporte un succès inespéré.

À l’époque, la Fnac permettait d’acheter des livres avec une réduction de 20 %. Démocratiser l’accès à la culture était alors une volonté politique, incarnée notamment par André Malraux, premier ministre de la Culture en 1959. S’est ensuivi un combat, parfois véhément, entre les entrepreneurs et les libraires indépendants, qui aboutira à la loi sur le prix unique du livre, de Jack Lang, en 1981.

Les chansons qu’on écoutait

Raide dingue de cette petite Anglaise débarquée de son Swinging London, Serge Gainsbourg composait pour Jane Birkin un album, « Jane Birkin – Serge Gainsbourg ». Il contient un unique duo, « Je t’aime… moi non plus, » et un titre chanté par Gainsbourg mais dont Birkin entonne le refrain, « 69 année érotique ». Le scandale est immédiat. Jane devient une star.

Héritier de Mai-68 et de Georges Brassens, Maxime Le Forestier, avec sa barbe et sa guitare, incarnait dans son premier disque « Mon Frère » (1972), la face contestataire d’une époque bénie et inconsciente de la chanson française où les chanteurs de « variété » célébraient une sorte d’autosatisfaction joyeuse « à la française ».

Stone et Charden, qui allaient se séparer en 1974, vantaient le made in Normandie et chantaient « Il y a du soleil sur la France », et Julien Clerc, « Ce n’est rien ». Michel Fugain et le Big Bazar s’éclataient avec « Attention Mesdames et Messieurs » et aussi « C’est un beau roman, c’est une belle histoire ». Un roman d’amour né sur l’autoroute des vacances, inaugurée par… Pompidou, le 29 octobre 1970.

L’affaire Marković

C’était le gros scandale politico-judiciaire de l’époque. À moins d’un an avant l’élection présidentielle de juin 1969, l’affaire Stevan Markovic, du nom d’un proche d’Alain Delon dont le cadavre avait été retrouvé dans une décharge, vraisemblablement un règlement de comptes entre voyous, donnait lieu à un déchaînement de rumeurs et de fausses allégations, visant notamment le premier ministre du président Charles de Gaulle, Georges Pompidou, au travers de son épouse Claude, qui aurait été prise en photo lors de parties fines… Une « boule puante » restée sans effet.

La presse, reine des médias

« Messieurs les censeurs, bonsoir ! »

Les journaux étaient encore bien implantés dans le paysage médiatique. « Le Monde » coûtait 50 centimes. « Sud Ouest », 70 centimes. Des dissidents de « L’Express » lançaient l’hebdomadaire « Le Point ». « Pilote » et « Charlie Hebdo étaient dans les kiosques. Le magazine « Le Nouvel observateur », qui accueillait dans ses pages les « Frustrés », de Claire Bretécher, publiait le « manifeste des 343 salopes », une pétition en faveur de la légalisation de l’IVG où des célébrités affirmaient, à l’instar de Catherine Deneuve, avoir subi un avortement. L’audiovisuel public était encore verrouillé par l’ORTF qui n’explosera qu’en 1975. En 1971, après la diffusion de son film coupé par la télévision, l’écrivain Maurice Clavel quittait le plateau de l’émission politique « A armes égales » en clamant « Messieurs les censeurs, bonsoir ! », sous les applaudissements du public.

Téléphones en plastique gris et cabines téléphoniques

C’était le temps béni où l’on n’était pas censé être joignable H 24 et n’importe où. Pas de magasin débordant de mètres linéaires de modèles différents de portables, et donc, pas besoin de se casser la tête pour choisir « la » marque idéale au meilleur prix. À la maison ou au boulot, pour téléphoner, on disposait d’un téléphone gris, en plastique (vous savez, avec un gros cadran qui tourne…). À chaque coin de rue, on avait des cabines à pièces. Et pour photographier, on se servait… d’un appareil photo (mais si). Il fallait patienter une dizaine de jours pour voir si les clichés étaient réussis, le temps du tirage par un photographe professionnel sur papier ou en diapositives. D’où les inévitables séances diapos, mariages ou « retours de vacances » en famille et entre amis…

La France du sport

Côté sport, Poulidor, « Poupou », terminait inexorablement second au Tour de France. À Roland-Garros, où le tennis mondial était dominé par les Australiens (Ken Rosewall, Rod Laver), un certain Björn Borg, un jeune et blond Suédois de 18 ans, la tête ceinte d’un bandeau, raflait le titre de vainqueur du tournoi en 1974. Le début d’une suprématie qui allait s’étendre jusqu’au début des années 1980, excluant les joueurs tricolores.

En rugby, après avoir remporté le Tournoi des Cinq-Nations, la France s’offre son premier Grand Chelem en 1968, avec Walter Spanghero, Jean Gachassin, Pierre Villepreux, Jo Maso, Claude Dourthe et les frères Camberabero. Au football, où il arrivait qu’on fume sur le banc de touche, les matchs, pleins de suspense, étaient disputés devant un public joyeux dans des stades à peu près épargnés par les panneaux publicitaires. Le monde du football avant que l’argent n’y coule à flots…

La politique dans la rue

Cinq ans après Mai-68, au printemps 1973, une mobilisation sans précédent touchait les établissements du secondaire et du supérieur, mettant dans la rue lycéens et étudiants, contre la loi Debré qui réduit le service de seize à douze mois et supprime les sursis pour études. Occupation d’usine, manifestations monstres, autogestion : l’été suivant, les salariés de l’usine de montres Lip de Besançon menaient l’une des luttes sociales les plus marquantes du XXe siècle, la vente du stock de montre servant à payer les salaires des ouvrières et des ouvriers.

À l’époque, dans la rue, c’était assez simple : la gauche contre la droite (et inversement). la Ligue Communiste révolutionnaire d’Alain Krivine affrontait les militants nationalistes et d’extrême droite d’Ordre nouveau. Les deux mouvements seront dissous. Georges Séguy dirigeait la CGT et Edmond Maire la CFDT. On défilait en duffle-coat et pattes d’éléphants, en minijupes pour les filles.

Le règne de la bagnole

« L’automobile n’est pas seulement un signe de promotion sociale, elle est véritablement le signe de la libération de l’individu ». Georges Pompidou au Salon de l’auto 1966.

Pompidou qui roulait en Porsche (certes d’occasion), aimait l’automobile. Il encouragea et loua même son usage en 1966, en tant que premier ministre, en faisant valoir que les voitures représentaient un signe extérieur de richesse et la liberté, et en décidant d’« accélérer le rythme de construction des autoroutes ». Les premiers bouchons allaient faire leur apparition. À Bordeaux, le week-end, pour aller sur le bassin d’Arcachon ou en revenir. En banlieue parisienne et un peu partout en France, pour les départs et retour en vacances. Un mal pour un bien : c’était le signe qu’on avait une voiture et qu’on pouvait s’offrir un séjour au ski ou la mer, ou gagner sa résidence secondaire, élément indispensable du train de vie du cadre qui a « réussi ».

Les limitations de vitesse n’étaient pas draconiennes, l’alcool au volant peu sanctionné, la ceinture sécurité n’existait pas et on ne mettait pas de casque pour rouler à moto ou en mobylette. Les accidents de la route faisaient des ravages. En 1972, l’Hexagone battait encore le triste record de 18 034 personnes tuées sur les routes. Sud Ouest lançait une grande croisade « Halte à l’hécatombe » sur les routes. La Sécurité routière s’inventait et Bison futé allait faire son apparition.

L’homosexualité, les femmes…

Forte croissance de plus de 6 % , plein emploi, le tout-électroménager pour sortir les femmes des tâches ménagères, hausse de 25 % du niveau de vie… Le choc pétrolier de 1973 met fin à la période de « la France heureuse » des Trente Glorieuses. Pourtant, pas sûr que les Français aient vraiment envie d’y revenir. Certes, le sida n’existait pas encore, pas plus que les ravages de la mondialisation, la menace terroriste islamiste, ou encore les dangers de la désinformation et les crises environnementale et climatique. Mais tout n’était pas rose et la modernisation véritable de la société tenait encore de la promesse.

L’homosexualité était un délit et le restera jusqu’à sa dépénalisation, en 1982. Les jeunes allaient attendre l’élection de son successeur, Valéry Giscard d’Estaing, en 1974, pour obtenir l’abaissement de la majorité à 18 ans. Quant aux femmes… Théâtre des grands combats féministes avec la naissance du MLF, en 1970, les années Pompidou riment encore avec société ultra-patriarcale. Si elles jouissent depuis 1965 de l’émancipation bancaire et peuvent travailler sans l’autorisation de leur mari, et que la contraception est légalisée depuis 1967, ce n’est également qu’avec VGE, qui créera le premier secrétariat d’État à la condition féminine, qu’elles obtiendront le droit à l’avortement, le libre accès à la contraception et son remboursement par la Sécurité sociale, la reconnaissance par la loi du viol comme un crime passible des assises et celle du divorce par consentement mutuel.

La « France moche »

C’est précisément aussi au début des années 1970 qu’est née cette « France moche » des zones commerciales des périphéries – un modèle « obsolète » selon le gouvernement actuel, fondé sur la consommation de produits bon marché et sur l’automobile -, que l’État veut transformer, avec un plan de 26 millions d’euros d’aides. À cette époque-là, on l’a vu, l’économie était florissante, on découvrait le consumérisme, sans en percevoir les dangers. Quant à la première vraie prise de conscience des enjeux de l’écologie, elle ne se fera jour qu’en 1974, avec la campagne de René Dumont, premier candidat à l’élection présidentielle, comme l’atteste la lecture de « Sud Ouest », grand témoin de son époque.

Plus simple et moins vite

Bref, dans l’après Mai-68, un sentiment de liberté et une forme d’innocence prédominaient dans la société, assortis d’une croyance en un progrès infini. L’heure était à l’optimisme, le monde d’alors semblait plus simple. Tout allait moins vite et ce président au sourcil broussailleux et à l’allure de paysan matois qui, cigarette Winston vissée au bec, portait beau et conciliait modernisme et tradition, rassurait aussi, par ses origines, son style et sa formation. Ce grand promoteur des autoroutes et de la bagnole n’était-il pas aussi celui qui voulait sauver les platanes des routes d’une France dont il défendait les traditions et la beauté ?

Crédit: Lien source

Les commentaires sont fermés.